Un jour, je reviendrais...
Debout à 5 heures, ce jeudi 1er août, je récupère sur la desserte du hall, devant ma chambre, le plateau-déjeuner, que le restaurateur (1) avait convenu de me préparer la veille, à la fin de son service. Après avoir fait le plein de calories, et quelques étirements qui accélèrent mon réveil musculaire, je jette un coup d'œil par l'entrebâillement de la fenêtre : m...e il pleut! C'est la " cata ",jeudi était d'après la météo le meilleur jour de la semaine. J'hésite à me recoucher, parti la veille de chez moi, j'ai fait plus de 200 kilomètres pour faire du vélo, optimiste j'enfile mon cuissard et mon beau maillot de l'Ardéchoise.
Il ne fait pas encore jour lorsque j'enfourche mon vélo, le lampadaire éclaire mon compteur : 5 heures 52. II ne pleut plus, et ça monte déjà.
Après Don un mouvement furtif dans l' herbe mouillée attire mon attention, deux grandes oreilles, un lièvre qui détale. Plus haut c'est un couple de chevreuils qui caracole à cinquante mètres devant moi, le premier franchit le fil de fer qui borde le champ, saute sur la route et disparaît de l'autre côté, le second en m'apercevant fait demi tour et repart au grand galop dans la direction opposée. J'en prends plein les yeux, c'est un instant magique.
Tout de suite après Virieu-Ie-Petit, ça devient très sérieux, vite le 3Ox25, et " roule doux la gazelle", cool Raoul. Quatre voitures me doublent, klaxon joyeux, des vététistes matinaux. Le temps est gris, mais la forêt est belle, 100% d 'humidité, tout baigne! Cette fois çi c'est pas un, mais deux lièvres qui pointent leurs " ravioles " (2) , ils cavalent sur la route, s'arrêtent plus haut, se retournent, m'observent, repartent et disparaissent après deux zigzags fulgurants. Du pur bonheur !
Dans le mur à 22%, mon compteur indique 6 km/h. J'ai peur de repartir en marche arrière. Je ne peux même pas prendre mon bidon pour boire, mieux vaut ne pas avoir un incident là. Ca passe, le carrefour de Lochieu, la pente s'adoucit, c'est presque plat puis ça remonte, mais c'est plus tranquille. La croix est en vue, c'est plus dur, l'air est froid et humide, des vaches paissent dans l 'herbe mouillée, imperturbables à mon passage, à gauche une auberge, rien ne bouge. Le col du Colombier ça y est, j'y suis! Il est 7h33. Sans les nuages la vue serait fantastique! Les voitures des vététistes sont là, garées, personne.
On aperçoit le Mont Blanc très loin en face, et le Rhône tout en bas. Je m 'habille, avale un " energix ", une gorgée d'eau, et me laisse glisser jusqu'à l'auberge du versant est, deux kilomètres plus bas. C'est fermé, mais la porte s'ouvre sur un " vous désirez quelque chose ? ". Je savoure le café brûlant, en bavardant avec la dame qui à déjà le tampon à la main. On se quitte avec un " peut être à tout à l 'heure! ".
Plus je descend, plus j'ai froid; et plus il fait sombre, au sud c'est noir, menaçant. Les pierres sur la route m'incitent à la prudence. Du panorama tant vanté dans les " portes ", c'est le flop, quai des brumes! Je ne vois rien, déçu !
A Culoz je pose mon vélo contre le mur de l'Hôtel " Le Cardinal " il est 8h30, je suis frigorifié. Au bar, des habitués, je commande un café, mange un croissant, et fait tamponner ma carte de route. J'échange quelques propos avec mon voisin de comptoir. Par la double porte grand ouverte je m'aperçois amer, qu'il pleut! Avec la serveuse nous jetons un oeil à la rubrique météo du journal local, c'est pas la même chose qu'à la télé de la veille!
J'ai toujours aussi froid; je commande un autre café. J'ai envie de rentrer directement à l 'hôtel, c'est qu'à six kilomètres d'ici, et dans moins d'un quart d'heure je suis sous la douche brûlante! C'est tempête sous un crâne, je pèse les patates, je réfléchis quoi! L'accalmie survient, " salut la compagnie! ",je m'échappe il est 10h10, direction le col! J'ai à peine fait quelques hectomètres que la pluie remet ça. Je suis tiraillé entre faire demi tour et continuer, je m'arrête pour enfiler mon imper pvc. Je repars dans l'inconnu, inconscient, la confrérie il faut la mériter! Sous le plastique c'est le sauna, ce p...n d'imper c'est une vraie cocotte minute, il ne faudrait l'utiliser qu'en descente.
Il pleut moins, je m'arrête pour me déshabiller, je suis trempé, mais je me soigne. Dans les " portes "je monte avec mon 30x25, souple, ça tourne bien, j'aperçois bien Culoz, puis le lac du Bourget. On dirait que le temps se lève un peu. Je suis attentif dans les zones de chutes de pierres. La pente devient quasiment nulle sur quelques centaines de mètres, jusqu'au carrefour d'Anglefort, puis ça en remet une couche, mais j'ai de bonnes sensations. Je salue deux cyclos qui descendent, emmitouflés, puis double un tracteur qui tond le talus montant, avec un petit geste de la main, à chacun sa peine. La Sapette, ça va toujours bien, puis c'est moins pentu, là sur ma droite un cervidé, déambulant dans la forêt ruisselante, mais le " clac " de la pédale qui déchausse le fait fuir en une seconde. Il y a de la brume, je repasse devant l'auberge, dont on n'aperçoit que le toit et sa cheminée qui ne fume pas. Des vaches, dont quelques unes sont même sur la route, me regardent passer, doucement. C'est pas comme celles d'en bas qui sont au bord de la ligne TGV.
Le sommet est en vue, je m'arrête au col à 11 h58. Deux ou trois voitures sont garées, quelques promeneurs sont là tentant d'apercevoir le panorama, bouché par les nuages et le brouillard à l'est, c'est un peu plus dégagé à l'ouest et on aperçoit même un trait de ciel bleu. J'avale quelques vitamines, et termine mon premier bidon, surpris d'avoir consommé si peu. Il fait froid et humide et la déperdition en eau est nettement moins grande que par temps chaud.
Je n'ai pas du tout envie de replonger dans la grisaille d'Anglefort, et à cet instant là, renonce définitivement à tenter les quatre ascensions. Après avoir enfilé coupe vent et pvc je me laisse glisser sur Artemare- Champagne. Je croise deux vététistes grimaçants à quelques encablures du sommet. Il fait froid dans la descente, mais j'essaie de ne pas y penser. J'évite le mur à 22% et prend à droite direction Lochieu. En pointillés, le soleil se montre enfin I Je passe devant le lieu de vie du sapin président, mais engourdi je réagis trop tard et n'ai pas le temps de le saluer, minus que je suis . Au cours de cette descente, j'ai le temps de dérouler dans ma tête le film de ces quelques heures passées dans ce lieu magique, et décrites ici. Les passages ensoleillés me réchauffent un peu, et j'ai presque envie de remonter une troisième fois, mais c'est la direction de l 'hôtel que je prends, et de sa douche chaude.
Lorsque j'atteins Artemare il est environ 13h, le Grand Colombier tout là haut est revêtu d'une grande écharpe de nuages gris. Un jour je reviendrais.
(1) Hôtel restaurant MICHALLET à Artemare: simplicité, disponibilité, gentillesse, et bonne cuisine.
(2) Les oreilles