Hommages

 

Laurent est grand maître des fêlés du Grand colombier. Au cours de sorties dominicales à bicyclette, il aimait faire allusion au défi bugiste. Celui-ci consiste d’abord à grimper à plus de 5000 mètres de dénivelé  au cours d’une unique sortie à vélo. Bref, s’élever au-dessus du Mont Blanc! Pour cela, il faut se hisser sur les 4 faces du Grand Colombier. Pas rassasié, il m’expliquait qu’il fallait ajouter 2 « Biche » pour boucler le défi, soit deux ascensions voisines du Grand Colombier! Il m’apprit que ce Grand Colombier est une des ascensions les plus dures de France, avec ses passages à 19% de moyenne! J’aurais aimé réaliser un des défis des fêlés en sa compagnie. Il avait proposé de suivre en voiture les candidats au titre de fêlé pour les assister au cours de leur périple. Ce projet ne se réalisera pas. Laurent nous a quittés. Mais le Grand Colombier restera à jamais Sa Montagne. C’est l’occasion pour moi de sillonner les routes qu’il a empruntées.

 Le premier rendez-vous avec le Géant du Bugey a lieu en Avril, accompagné de mon père. Je souhaitais grimper deux côtés : Artemare et Culoz. Et surtout, réussir à passer ces fameux 19% sans mettre pied à terre. Normalement, le 34x28 devait suffire. J’ai même pensé à emmener une paire de sandales. . . que j’oubliais avant de partir. Il faudra monter sur le vélo, pas à côté. Finalement, c’est passé, en zigzagant : que  de Z dessinés sur la route! L’objectif est finalement atteint : une belle journée qui me donne envie de retourner sur ces lieux. Malgré une overdose de pente à plus de 10%!

 Le second rendez-vous avec ce col a lieu en juillet. Je veux relever le défi suivant : 3 montées du Grand Colombier. Ce sera  en compagnie de Gregory, très motivé à l’idée de se frotter aux pentes abruptes du col!

D’abord, le versant d’Artemare. Départ sous la pluie : le temps restera maussade toute la journée. Sensations moyennes dès les premières rampes : ce n’est pas la grande forme pour moi, contrairement à la dernière fois. Greg a une cadence de pédalage plus fluide. Cependant, nous montons ensemble jusqu’à Virieux-le-Petit : c’est un bon échauffement. Puis la pente s’accentue et Greg s’en va progressivement. Longtemps, il reste en point de mire devant moi. Le brouillard s’installe, la visibilité décline. Lorsque j’aborde les passages les plus durs, je vois Greg commencer à zigzaguer. Je tente de tracer tout droit mon chemin. . . je me ravise aussitôt! Série de Z pour avancer! Pendant ce temps, la silhouette de Greg s’évanouit petit à petit dans le brouillard. Je le retrouverai au sommet. Pour le moment, je suis seul face à la pente qui s’approche de plus en plus de la verticale. Mais finalement, c’est passer une deuxième fois à environ 6km/h! Plus rapide à pied?

 Au sommet, nous voilà accueillis comme des stars : public, ligne d’arrivée, bannières, affiches, photographes, ravitaillement, et la cloche qui sonne à l’arrivée des rares cyclos! Les membres de la confrérie sont bien là, malgré le froid et le brouillard, fidèles au poste. Ambiance très conviviale. La première fois que j’ai franchi ce col, je me retrouvais seul au monde au sommet : drôle de sensation! Aujourd’hui, c’est le contraire : les membres de la confrérie ont réchauffé l’atmosphère. Je les en remercie!

 Dans la descente vers Culoz, crevaison de Greg : je dois retourner en arrière. Plus loin, un rocher a dévalé de la falaise pour s’arrêter de l’autre côté de la route, laissant des débris sur toute la largeur de la chaussée. Bien que la route ait été refaite, il y a des gravillons et parfois, des pierres : il faut rester vigilant. Deux cyclos rencontrés au sommet s’arrêtent pour nous demander si tout va bien. Ils sont frigorifiés : petit instant de répit, bienvenu pour se réchauffer!

 Dès le pied de la montée, Greg me distance. Il a très froid et veut faire monter la température du moteur! Retrouvailles bien plus tard en haut. Je recherche difficilement un rythme pour grimper : le versant d’Artemare laisse des traces. Sur les lacets du versant de Culoz, la route est encadré par un mur de roche d’un côté, un mur de brouillard de l’autre. Pas de panorama. Tant pis, j’imagine les paysages avec les souvenirs de ma précédente ascension. Plus loin, le brouillard se lève. En contrebas, j’aperçois un nuage qui tapisse le fond de la vallée. Sur le replat après les lacets, je croise quelques cyclos qui ont un coup de pédale plus vigoureux que le mien. Je ne cherche pas à suivre, je préfère gérer. Ils se fondent assez vite dans le brouillard, à nouveau présent sur mon chemin. Je les reverrai au sommet. J’évite de justesse la fringale après avoir englouti une barre énergétique. Je franchis le passage le plus dur sans encombre. Je sais maintenant que je pourrai réaliser la dernière ascension : les jambes tiennent le choc. Le dernier replat récompense les efforts intenses pour surmonter les pentes les plus coriaces. Un peu plus tard, me voilà au sommet, les membres de la confrérie sont toujours présents. Ils resteront jusqu’à 15 heures, donnant le sourire à tous les cyclos. Greg est prêt à repartir. Il se lance dans la descente juste après mon arrivée. Quelques tranches de saucisson, recharger un bidon en eau, essuyer mes jantes trop sales afin de retrouver un freinage efficace, remettre mes gants d’hiver et mon cache col.  Malgré cela, le froid dans la descente est saisissant!

 Dans cette descente en direction de Champagne, je trouve un cyclo arrêté sur le côté : c’est Ludo et il vient de crever! Je l’attends et j’en profite pour me changer. Ludo finira par monter 3 faces, seul rescapé de son groupe d’amis. Nous terminons la descente ensemble. Nous croisons Greg en train de remonter, comme une balle! Je me rends compte qu’il a déjà pris beaucoup d’avance. Ludo m’accompagne jusqu’à Lochieu. Ensuite, chacun monte à son rythme : il se détache naturellement. Sur les pentes les plus raides de la montée, un escargot traverse la route : lui aussi est condamné à prendre son temps pour avancer! Dans les derniers kilomètres, les jambes commencent à lâcher. Mais le sommet est si proche. Quelques minutes d’efforts. Le rang de maître est à portée de roue. Je suis la glissière de sécurité, fil d’Ariane dans le brouillard. Où est le bout? La dernière ligne droite est sans fin. Mais je profite de ce moment.

 Voilà le sommet! Je franchis la ligne, c’est terminé! On ne voit plus grand-chose. Je croise un cyclo qui me demande de le prendre en photo, une voiture et… personne d’autre. Contraste avec les deux autres arrivées : le haut du col a retrouvé sa quiétude. Le défi est relevé : belle satisfaction! Il me reste la descente. Je me dirige vers Lochieu, Greg est remonté en voiture par Artemare pour venir me chercher. Raté!

 Greg a bouclé ses trois ascensions. Lui aussi a eu sa dose! Les derniers kilomètres ont été pénibles : il pensait me voir revenir sur lui! Tout de même, c’est mission accomplie!

 A nous deux, 6 ascensions, comme Laurent. Laurent est bien le plus fêlé de nous tous! Il a placé la barre très haute. Chapeau! 2, puis 3, bientôt 4 ascensions?

 

Guillaume PICARD - 12 juillet 2014