LA CROIX - juillet 2016
L'HONNEUR RETROUVE DU GRAND COLOMBIER
(suite au passage du Tour de France)
Jean-François Fournel, à Culoz, le 17/07/2016
En dépit de ses pentes légendaires, le sommet de l’Ain avait toujours été négligé par le parcours du Tour de France. Cet oubli avait bien été réparé avec un premier passage en 2012, mais la « faute » est vraiment effacée depuis hier, puisque les coureurs l’ont emprunté deux fois dans la même journée, lors de la 15e étape.
« Les éléments et les terrains sont personnifiés, car c’est avec eux que l’homme se mesure et comme dans toute épopée il importe que la lutte oppose des mesures égales: l’homme est donc naturalisé, la nature humanisée (…), les étapes sont avant tout des personnages physiques, des ennemis successifs, individualisés », écrivait en 1958 le sémiologue Roland Barthes dans son célèbre chapitre des Mythologies consacré au Tour de France.
Roland Barthes n’hésitait pas à comparer les ascensions à des odyssées homériques, dont certaines situées hors des Alpes ou des Pyrénées, loin du décor habituel de la scène des géants de la route, en Auvergne, dans les Vosges ou le Jura, ces vieilles montagnes souvent négligées. Le Puy-de-Dôme pas plus que le Ballon d’Alsace, escaladés treize et cinq fois, n’ont de fait pas eu trop à se plaindre et quelques célèbres pages y ont même été écrites, dont le célèbre mano a mano Poulidor-Anquetil sur le Puy-de-Dôme en 1964.
Thomas Voeckler, vainqueur en 2012
Dans cette geste héroïque, le Grand Colombier, lui, doit se contenter d’une petite épopée et d’un héros sympathique mais modeste, Thomas Voeckler, son vainqueur en 2012, l’année où il manqua d’une marche le podium à l’arrivée à Paris. Le Français était alors au sommet de sa popularité en dépit d’une première partie de Tour laborieuse, avant qu’il ne redresse le guidon.
Précisément à l’occasion de cette étape inédite jusque-là sur le Tour de France, en dépit de ses pourcentages impressionnants, qui auraient dû depuis longtemps en faire un passage obligé de la dramaturgie cycliste. Qu’aurait pensé Roland Barthes de la réussite du Petit Gaulois au sommet du grand oublié ? Mystère, puisque l’auteur des Mythologies est mort en 1980 d’un accident de la circulation.
Les voisins du théâtre de l’exploit « voecklerien » n’ont pas laissé passer l’occasion de faire vivre la petite légende, créant sur ses traces une course cyclotouriste disputée chaque samedi de juillet depuis 2012. Ils n’ont pas eu à chercher bien loin pour recruter des candidats, puisque le col dispose d’un fan-club au nom fleuri, « les fêlés du Grand Colombier ».
Le critère d’adhésion à cette association de fameux mollets est simple : les membres doivent avoir gravi le sommet de 1 498 m d’altitude par les quatre voies d’accès possibles. L’une approche le pourcentage affolant de 23 %, dont aucun cousin pyrénéen ou alpestre ne peut se targuer, du moins sur le versant français. Le grand Greg LeMond, premier vainqueur américain du Tour, en 1986, a organisé en juin dernier une ascension symbolique, à l’occasion du 30e anniversaire de sa victoire.
Décor de nombreuses courses
Si le Grand Colombier participa de la légende de Thomas Voeckler en 2012, il n’eut aucune incidence sur le classement général de cette année-là, remporté par un rouleur, Bradley Wiggins, premier sujet de sa Gracieuse Majesté à avoir dénoué la Grande Boucle.
Il méritait bien la deuxième chance de 2016, en vertu d’un standing bien reconnu par des courses de haut niveau. Le Tour de l’Ain, le Criterium du Dauphiné libéré et le Tour de l’avenir ont souvent escaladé un de ses côtés, avec un épisode resté célèbre dans le monde du vélo. En 1978, pas très bien informé du parcours, le peloton du Tour de l’avenir avait dû mettre pied à terre faute d’avoir installé des braquets adaptés. Nombre de coureurs avaient fini à pied en poussant leur vélo.
L’oubli réservé au Grand Colombier est d’une certaine manière doublement réparé, puisque le parcours 2016 prévoit deux passages sur ses pentes. Les coureurs vont franchir une première fois le col avant de redescendre dans la vallée et de le réattaquer par une série de « S » taillés dans la montagne et que les cyclos ont baptisés les Portes.
Une chose est certaine, à l’issue de l’étape d’hier, les 185 cyclistes du Tour encore en course auront parfaitement honoré leur maillot avec ces deux Colombiers dans les jambes. Néanmoins aucun ne pourra adhérer à l’association des « Fêlés », puisqu’il leur manquera deux ascensions dans la journée pour avoir la carte de membre.
Un Colombien au sommet du Grand Colombier
En dépit d’un final spectaculaire dans les lacets du Grand Colombier (lire ci-dessus), cette 15e étape du Tour de France remportée par le Colombien Jarlinson Pantano n’a en rien dénoué l’intrigue du classement général. Les hommes forts sont-ils résignés à se disputer la deuxième place à Paris derrière une Christopher Froome ? Alors que les six cols d’hier étaient propices aux grandes manœuvres, aucun cador n’a pris le risque d’attaquer le maillot jaune, qui abordera les Alpes avec sa tunique solidement arrimée sur les épaules. La bonne opération du jour est à l’actif du Français Romain Bardet. En obligeant le peloton maillot jaune à accélérer, il a décramponné son prédécesseur au classement général Tejay Van Garderen et gagne une place, passant de la 7e à la 6e. Au classement de l’étape, on note un tir groupé des Français, avec Julian Alaphilippe, Alexis Wuillermoz et Pierre Rolland aux avant-postes.
Jean-François Fournel, à Culoz